Une décision du Tribunal de l’Union européenne conforte la protection de l’AOP « Champagne » et renforce celle des IG au niveau européen

Dans le cadre d’une procédure initiée par l’INAO et le CIVC à l’encontre de la marque « NERO CHAMPAGNE » déposée par la société italienne NERO LIFESTYLE auprès de l’Office européen de propriété intellectuelle (EUIPO), le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé ce mercredi 25 juin 2025 la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO. L’opposition formée par l’INAO et le CIVC à l’encontre de la marque NERO CHAMPAGNE a été accueilli par le tribunal, y compris s’agissant des « vins conformes au cahier des charges de l’AOP "Champagne" ».
Une marque problématique enregistrée par l’EUIPO
En 2019, la société italienne Nero Lifestyle a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement pour la marque verbale « NERO CHAMPAGNE » pour divers produits de la classe 33 (boissons alcoolisées) ainsi que des services.

Même si elle avait été limitée aux vins de l’AOP Champagne, l’INAO et le CIVC se sont opposés à l’enregistrement de la marque considérant qu’elle portait atteinte à l’AOP « Champagne ». N’étant pas distinctive, la marque constituait une appropriation indue, tirait indument profit de la notoriété de l’AOP et était trompeuse pour le consommateur compte tenu de l’association du terme « Nero » (noir en italien) et « Champagne ». L’opposition ayant été partiellement rejetée par l’EUIPO, exigeant uniquement la limitation aux « vins et services bénéficiant de l’AOP Champagne », l’INAO et le CIVC ont formé appel devant la Chambre des recours de l’EUIPO qui a confirmé sa position.
Le CIVC et l’INAO ont dès lors saisi le Tribunal de l’UE. Les gouvernements français et italien ainsi qu’OriGIn sont intervenus volontairement à leur soutien.
Le Tribunal confirme l’application des règles de protection des IG
Partageant l’essentiel de l’argumentaire de l’INAO, du CIVC et du gouvernement français, le Tribunal a ainsi rappelé que le droit de l’Union n’interdit pas qu’une marque puisse contenir une AOP mais que son enregistrement peut être refusé si le produit n’est pas conforme au cahier des charges de l’AOP concernée. C’est notamment le cas si son utilisation exploite la réputation d’une AOP ou encore si la marque demandée véhicule une indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance ou à l’origine du produit (points 49 à 51 de l’arrêt).
Il peut y avoir présomption dès lors qu’une marque contenant une AOP ne désigne que des produits conformes au cahier des charges de la dite AOP et qu’elle n’exploite pas de manière indue la réputation de cette dernière.
Cependant, et contrairement à ce qu’invoquait l’EUIPO, cette présomption peut être renversée lorsqu’il est démontré qu’une marque est susceptible d’exploiter indûment la réputation d’une AOP, même si elle ne désigne que des produits conformes au cahier des charges de cette AOP (points 58 à 59 de l’arrêt).
Le Tribunal souligne ainsi que les règles de protection s’appliquent y compris à l’égard des produits bénéficiant de l’IG.

Le Tribunal constate par ailleurs que la chambre de recours de l’EUIPO a violé l’obligation de motivation qui lui incombe en n’exposant pas suffisamment en quoi les éléments produits par l’INAO et le CIVC n’étaient pas susceptibles de renverser la présomption.
Le Tribunal a rappelé que pour que la présomption puisse être renversée, il est nécessaire de démonter par des éléments concrets, étayés et concordants qu’une marque donnée est susceptible d’exploiter indûment la réputation d’une AOP, quand bien même elle ne désigne que des produits conformes au cahier des charges de cette AOP ou des services afférents. C’est ce que retient le Tribunal :
« Il ressort des écritures des requérants que plusieurs éléments, tendant à démontrer que la marque demandée était susceptible d’exploiter la réputation de l’AOP « Champagne », ont été soulevés au stade de la procédure administrative. Il s’agit, premièrement, de la réputation particulièrement élevée de l’AOP « Champagne », deuxièmement, de l’argument selon lequel un service ne peut être, par définition, conforme au cahier des charges d’une AOP, de sorte que la « théorie de la limitation » ne saurait valoir pour les services, troisièmement, de la mention du fait que la marque demandée est une marque verbale, qui peut donc être utilisée de nombreuses manières différentes sur le marché, y compris de manière contraire aux objectifs de l’AOP, quatrièmement, des arguments faisant valoir, en substance, que le terme « nero » qualifiait le terme « champagne » au sein de la marque demandée et, cinquièmement, des arguments relatifs à l’étiquetage des produits commercialisés par Nero Lifestyle. »
« Nero Champagne », une marque véhiculant une indication fausse ou fallacieuse
Exerçant son pouvoir de réformation, le Tribunal a estimé que la chambre de recours était tenue de considérer, à l’issue d’une appréciation globale des éléments de preuve fournis par les requérants, que ceux-ci étaient suffisants pour démontrer que le terme « nero » pourrait être perçu comme évoquant soit le cépage du champagne soit sa couleur. La marque demandée pourrait être perçue par une partie du public pertinent, comme véhiculant une indication fausse ou fallacieuse au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 1308/2013.
Le Tribunal relève que ce terme est utilisé dans le nom de plusieurs cépages italiens connus et que de multiples variétés de vignes l’incluent dans leur dénomination.
En outre, le terme « nero » sera compris par le public pertinent italophone comme signifiant « noir ». Le public pourrait donc penser qu’il s’agit d’un « champagne noir » alors même que, selon le cahier des charges de l’AOP, un champagne ne peut être que blanc ou rosé.
L’EUIPO peut encore former un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Une avancée majeure pour la protection des IG à l’échelle européenne
Au-delà de la satisfaction de cette issue positive de ce dossier initié il y a près de 6 ans, cette décision est une grande avancée pour la protection des IG au niveau européen.
En effet, s’il existait une jurisprudence française constante ces dernières années à reconnaitre que la protection des IG s’appliquait y compris vis-à-vis des produits bénéficiant de l’IG qu’il s’agisse d’appropriation, de détournement de notoriété, d’évocation…une telle reconnaissance n’existait pas au niveau européen et les interventions de l’INAO auprès de l’EUIPO s’avéraient vaines dans ces situations.
Au-delà du fait que cette position française est désormais consacrée et partagée au niveau européen, cela ouvre désormais tout un champ de possible dans l’UE.
En outre, cet arrêt va conduire l’EUIPO à revoir en profondeur ses pratiques et appréciations en matière d’IG et notamment le volet indications géographiques de ses lignes directrices relatives aux marques et aux dessins ou modèles.
Pour aller plus loin...
- Arrêt du Tribunal de l'Union européenne dans l'affaire T-239/23 | Comité interprofessionnel du vin de Champagne et INAO/EUIPO - Nero Lifestyle (NERO CHAMPAGNE)
- Communiqué de presse de la Cour de justice de l'Union européenne : NERO CHAMPAGNE ne peut pas être enregistré en tant que marque de l’Union européenne pour des vins d’appellation d’origine protégée « Champagne »